Péricardite

Pour la seconde fois en quelques heures, j’ouvre avec nonchalance mes yeux lourds et cernés. Je suis agrippé à un coussin écrasé par le poids de mon corps, sans pourtant aucun souvenir du moment où mon cerveau nécrosé a pris la décision de l’enlacer. La lumière est blafarde, le crépuscule est occupé à envahir l’hémisphère nord de ce caillou en ruines pour le couvrir de ténèbres. Je tente de refermer les yeux, mais l’industrie biologique qui prospère à l’intérieur de mon corps en a décidé autrement : peu importe l’envie de se laisser dépérir, le corps, lui, poursuit encore et toujours son train de vie effréné, tel une fourmilière gorgée de sang et soutenue par une structure osseuse ostéoporosée.

Je roule une cigarette avant d’aller me soulager, mon épaule reposant contre le mur de l’étroite salle de bain, trop famélique pour pouvoir tenir droit debout. Je divague un moment sur la ressemblance sonore entre les mots “famille” et “famine”, me demandant si une racine étymologique commune existe. Ces deux notions m’ont toujours paru étrangement proches.

En retournant au lit, j’aperçois sur mon matelas un demi-joint écrasé dans un petit amas de cendres ; j’ai dû m’endormir avec alors que quelques heures plus tôt je tombais dans un état comateux. L’image d’un brasier infernal surgit soudainement dans ma tête, un marasme assassin à la silhouette affreusement pathétique. Je me recouche.

 

Je prends en main mon téléphone qui repose sur la table de nuit juste à côté, l’écran me rappelle qu’une journée de plus s’est dérobée à moi ; je me sens seul, je ferme les yeux. 

Dans mon noir intérieur apparaissent soudain d'horribles faciès tiraillés par de répugnantes grimaces. Leur vision dérangeante et dérangée me tord douloureusement les entrailles, mais garder les yeux ouverts me demande trop de force, je laisse donc les créatures me narguer, danser en ricanant autour d'une potence en feu à laquelle je suis attaché.

"Zouz”… ce mot résonne dans ma tête, me plongeant dans une cacophonie d'échos menaçants. Le souvenir d'une époque révolue. Le bourreau, témoin de la sale vérité, qui me rappelle à l’ordre. Je mets de la musique pour tenter d'enterrer sa voix, mais il est trop tôt. J’ai sommeil, tellement sommeil…

 

 

Un amour perdu, c’est tout un panthéon qui s’écroule sous le poids de la réalité. C’est un cimetière de mots où les fantômes remontent régulièrement à la surface, tout un vocabulaire dans lequel on ne pourra plus jamais puiser sans inévitablement invoquer au pire une souffrance oppressante, au mieux une effrayante amertume mélancolique. C’est tout un répertoire musical que l’on enterre sous des étendues de sable fin. Ce sont des paysages entiers, des lieux interdits engloutis par le déferlement de tsunamis déchaînés. Ce sont d’innombrables photographies chaleureuses dont la couleur flétrit peu à peu, mais qui palpitent suffisamment fort pour nous rappeler que la pellicule est arrivée à sa fin. 

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